Derrière le festival intitulé « Le Québec à Paris » qui s’est déroulé en avril dernier se cache ATMA Classique. Depuis sa création, ce label québécois qui fêtera l’an prochain ses trente ans a à cœur de participer aux relations culturelles entre notre pays et le Québec et même plus largement le Vieux Continent et le Nouveau Monde. ATMA Classique met en valeur des interprètes québécois qui proposent souvent des répertoires très larges. Ils font la part belle à des compositeurs européens parfois méconnus ou à des œuvres peu jouées. Cette première édition du festival, un galop d’essai réussi, était l’occasion d’entendre des musiciens qui viennent de sortir un album et de souligner notamment l’intérêt porté par le label à la musique baroque.
J’ai eu le plaisir d’écouter le duo de violes les Voix humaines Mélisande Corriveau et Susie Napper qui jouaient Couperin (extrait), Marais et Rameau (extrait). Elles interprétaient en concert les œuvres de leur disque Anguille sous roche. Concert, peut-être devrais-je plutôt dire théâtre musical tant les deux musiciennes, par leurs gestuelles, les expressions de leur visage, le choix des œuvres et l’interprétation semblaient nous proposer une sorte de comédie musicale. Celle-ci nous racontait une suite d’histoires charmantes, délicates, simples. La joie de vivre et de jouer des deux violistes était communicative et l’absence d’interruption entre plusieurs morceaux participait à cette impression étrange d’être transporté bien loin du présent. Les harmonies complexes, la virtuosité des interprètes s’oubliaient au profit d’une forme de pureté musicale. Ces œuvres rappelaient aussi ce que les compositeurs des siècles suivants leur devaient. J’y entendais parfois des accents pré-romantiques ou romantiques, voire des motifs plus contemporains encore. Debussy et Poulenc, entre autres, n’ont pas caché la dette qu’ils devaient à un Couperin ou à un Rameau.
C’est un semblable retour aux sources qui s’opère en écoutant le nouveau disque de l’ensemble Les Barocudas, Basta parlare. Celui-ci était représenté au festival par l’un de ses membres, Marie Nadeau-Tremblay qui a donné un concert avec Mélisande Corriveau.
Nous ne sommes plus dans l’intimité d’un duo mais avec un petit orchestre baroque : harpe, flûte à bec, violon baroque joué par Marie Nadeau-Tremblay, viole de gambe, clavecin, percussions et orgue, tenu par Nathan Mondry. Les interprètes nous font écouter des compositeurs italiens du XVIIe siècle comme Dario Castello, Giovanni Legrenzi et Tarquinio Merula pour lesquels ils ont une prédilection. A ces morceaux se joignent deux improvisations l’une de Marie Nadeau-Tremblay et l’autre de Nathan Mondry avec leur instrument respectif. Ces deux œuvres contemporaines originales constituent un pont entre l’hier et l’aujourd’hui et montrent combien en dépit des siècles, des changements de civilisation, des évolutions esthétiques, une forme de musique reste intemporelle. Le but des Barocudas est aussi de mettre en valeur la richesse instrumentale de ces compositions baroques qui offrent un chant aussi beau que celui de la voix humaine, laquelle dominait encore le champ musical. C’est ainsi qu’il faut comprendre le titre de leur album. Ce sont ainsi les voix de chaque instrument qui se font entendre, parfois comme des conversations animées, joyeuses ou plus sérieuses et plaintives. C’est notamment le cas dans les œuvres tourbillonnantes de Tarquinio Merula (extrait). J’ai particulièrement aimé également la « Sonate pour deux violons » de Biagio Marini par son caractère à la fois mélancolique et langoureux dans lequel les cordes peuvent exprimer tout leur lyrisme. L’improvisation de Marie Nadeau-Tremblay qui suit ce morceau le prolonge parfaitement, comme un monologue qui suivrait un dialogue (on reste dans le théâtre !). Le morceau de Merula qui leur fait suite, d’abord très dansant puis ponctué aussi de mesures plus lentes, au caractère presque solennel, crée un bel enchaînement.
On pourrait croire qu’avec Suite tango, des pièces de Denis Plante pour bandonéon et violoncelle on part dans un autre style, un ailleurs musical. Bien sûr qu’on voyage en Argentine mais on reste également en Europe, et dans un passé revisité. Denis Plante, qui joue du bandonéon, a su mêler habilement, généreusement les rythmes et harmonies du tango avec des valses à la française ou encore à la manière de Bach. Dans ce sens, son « Bach to tango » est une totale réussite. J’ai beaucoup apprécié le Coral qui met en évidence la richesse de la palette musicale du bandonéon. Denis Plante n’a pas tort de dire que si le bandonéon avait existé du temps de Bach celui-ci aurait composé pour lui tant il parvient lui-même, riche de plusieurs siècles de musique, à créer des « œuvres classiques ». Denis Plante a offert également au violoncelliste Stéphane Tétreault des partitions magnifiques notamment le Canto du « Bach to tango » dans lequel le violoncelle semble être une voix humaine.
Finalement le point commun entre ces trois disques est peut-être le lyrisme. Joyeux, espiègles, douloureux, brouillons, tourmentés… tous ces chants nous parlent comme des voix familières. Et il ressort de ces écoutes une impression d’éternité.
ATMA a déjà programmé une seconde édition de son festival parisien en avril 2024, avec davantage de concerts et d’autres artistes à découvrir. En attendant, retrouvez les albums sur https://atmaclassique.com