
Après un voyage en Tchécoslovaquie avec Smetana et Dvorak objets de leur premier disque (distingué par un diapason d’Or), le trio Atanassov, né il y a douze ans, nous propose trois œuvres « purement » françaises avec Debussy, Ravel et le compositeur contemporain Philippe Hersant (1948).
Même si Ravel et son aîné Debussy ont été en leur temps présentés comme des rivaux (c’était à qui incarnerait le mieux la musique française pour contrer la suprématie allemande), la question aujourd’hui ne se pose plus en ces termes. Debussy et Ravel ont des points communs, des sources d’influence communes mais surtout des personnalités, des parcours humains et intellectuels bien différents. Trente-quatre ans séparent les trios. Le trio de Debussy est une œuvre de jeunesse de 1880 alors que celui de Ravel est déjà une œuvre de maturité composée quelques mois avant le début de la Grande Guerre. Entre les deux, vient se glisser le Trio variations sur la « Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont de Marin Marais » composé en 1998 par Philippe Hersant.

Cette dernière œuvre rappelle que le trio Atanassov a toujours été éclectique dans son répertoire, interprétant aussi bien Mozart, Beethoven que Turina, Bartok ou encore le compositeur arménien Vache Sharafyan et le japonais Toru Takemitsu. Un éclectisme temporel et géographique qui a permis à Perceval Gilles, Sarah Sultan et Pierre-Kaloyann Atanassov d’explorer très largement les possibilités de leur instrument respectif et de développer de nombreuses formes d’expression, propre à chaque compositeur. Quand ils reviennent à un répertoire plus familier pour nous, ils appliquent aux grands classiques leur sensibilité, leur personnalité. Ces nuances qui font qu’une formation de musique de chambre n’est jamais égale à une autre et qui évoluent au fil des liens que tissent les chambristes d’un ensemble, affinant chaque fois la connaissance qu’ils ont les uns des autres.

Philippe Hersant avec son œuvre incarne aussi ce style, cette « sophistication » à la française pour reprendre le terme du trio. Par sa composition, il souligne aussi ses racines esthétiques puisqu’il se place dans la continuité d’une certaine tradition avec Marin Marais. On pourrait même y voir un clin d’œil à Debussy si attaché à revenir aux sources classiques de la musique française avec Rameau, Couperin qu’il admirait et dont il a voulu se rapprocher.
Il est rare d’entendre un Debussy de 18 ans. Il a détruit ou tout au moins non publié ces premières œuvres qui étaient inaboutie, à ses yeux de perfectionniste. Le trio n’a pas tort de dire qu’il ne serait sans doute pas ravi de voir ce trio « gravé ». Mais ce n’est pas lui manquer de respect que d’écouter cette œuvre qui permet aussi de comprendre le parcours de Debussy qui a souvent pris des allures de chemin de croix. Saluons donc l’initiative du trio Atanassov. Cette œuvre de musique de chambre d’ailleurs n’a rien d’un devoir d’écolier. Debussy l’a composée alors qu’il séjournait avec la baronne von Meck, l’admiratrice secrète de Tchaïkovski. Il voyageait avec elle et ses enfants en Europe durant l’été en leur donnant des cours et en les accompagnant au piano. Bien sûr, ce trio n’a pas la modernité des compositions plus tardives mais il donne raison à ses professeurs de conservatoire un peu effarouchés par les libertés que prenait déjà Achille Debussy. Il y a également un certain lyrisme post-romantique qui rapproche le trio de ses mélodies, composées à la même période. Les Atanassov livrent une interprétation intéressante où se mêle bien leur maturité et la jeunesse de Debussy. Tout en gardant le caractère juvénile de l’œuvre, ces musiciens nous font sentir aussi tout ce qu’elle a en germe de novateur.
Ce Debussy lyrique est dans l’esprit de son temps, proche de ses aînés comme Fauré, Saint-Saëns ou Franck.
Avec Philippe Hersant on change de saison pour passer du printemps à l’été. L’œuvre est à la fois grandiose et austère comme le baroque mais aussi d’une modernité dont Debussy plus tard sera l’un des précurseurs. Elle offre une palette musicale passionnante pour les trois instruments qui semble chacun exprimer un univers sonore particulier tout en s’accordant, tout en dialoguant avec les deux autres.

Le trio de Ravel nous fait retrouver pleinement le monde musical du compositeur et on peut rapprocher ici plusieurs phrases d’œuvres pour piano ou pour musique de chambre. Le premier mouvement notamment offre une magnifique partition au piano que Pierre-Kaloyann Atanassov interprète avec une grâce parfois mélancolique qui se marie avec le beau chant des cordes de Perceval Gilles au violon et de Sarah Sultan au violoncelle. Cette sensibilité et cette subtilité s’épanouissent aussi dans le troisième mouvement, la Passacaille (à l’origine une lente danse à trois temps). Le pantoum, vif, entraînant a aussi parfois des accents plus menaçants, peut-être le reflet du contexte historique tendu dans lequel l’œuvre a vu le jour et que le trio plus de cent ans après parvient à exprimer. Le caractère symphonique dans le final nous emporte et clôt ce disque magistralement.
Et c’est dans les sonorités du Chic à la française que je souhaite aux lecteurs de ce billet une belle et harmonieuse année 2020.
Chic à la française par le trio Atanassov, chez Paraty.
Le trio Atanassov se produira le 15 janvier prochain, salle Cortot à Paris dans le cadre d’une carte blanche à Philippe Hersant.. Les autres actualités du trio sont publiées sur leur site.