Le Consort Brouillamini est un ensemble de cinq jeunes flûtistes à bec. Avec The Woods so Wild (du nom d’une œuvre de William Byrd qu’ils interprètent), ils signent leur second CD après un premier disque remarqué consacré à des transcriptions de Bach extraits notamment du Clavier bien tempéré et des concertos pour orgue (lien).
Si les œuvres jouées dans ce second disque sont également des transcriptions d’après des compositions pour clavier cette fois de la Renaissance anglaise, ce jeune ensemble renoue avec ses ancêtres. En effet, en 1539, un consort (ensemble) de cinq flûtistes vénitiens s’est installé à la cour d’Angleterre. La tradition perdura pendant un siècle.
Nous sommes sous le règne de Henri VIII, souverain mélomane et musicien lui-même, possédant une collection exceptionnelle d’instruments. Henri VIII transmit son goût pour la musique et surtout la danse à sa fille, la future reine Elisabeth 1ère, qui régna de 1559 à 1603. Son règne, l’ère élisabéthain, constitue un âge d’or pour le théâtre anglais notamment avec Shakespeare et Marlowe. Mais les autres arts ne furent pas en reste. En témoigne, le recueil Fitzwilliam Virginal Book qui rassemble près de trois cent compositions (danses, mélodies et autres morceaux composés par trente musiciens et une quarantaine de pièces anonymes) pour le virginal (une sorte de clavecin) dont la reine aimait jouer.
Le consort Brouillamini a notamment puisé dans ce recueil pour transcrire et adapter des œuvres pour la flûte à bec. Il a sélectionné aussi des danses d’Antony Holborne, quelques pièces religieuses de Christopher Tye et de William Mundy pour terminer par deux compositeurs du 17e siècle, Matthew Locke et Henry Purcell qui annoncent le baroque.
Même si beaucoup d’œuvres musicales n’ont pas été conservées, celles transcrites et interprétés par le consort Brouillamini montrent combien ces décennies ont été riches aussi pour la musique.
Ce disque nous emmène donc à la cour d’Henri VIII et d’Elisabeth 1ère puis au temps de Charles 1er et Charles II. On plonge dans une atmosphère tellement éloignée de notre époque. Les rythmes sont assez lents, parfois un peu mélancoliques mais il se dégage pourtant essentiellement une impression de légèreté notamment grâce aux sonorités très chantantes des flûtes comme dans l’œuvre qui ouvre le disque The Image of Melancholly de Antony Holborne. Le caractère léger et franchement dansant est encore plus saisissant dans le second morceau, une gaillarde intitulée « The Fairie-Round ».
D’autres œuvres comme « La Volta » de William Byrd, l’un de mes morceaux préférés avec les quatre délicates danses de Anthony Holborne, ont une fraîcheur qui réjouit les oreilles. On se prendrait à croire que ce siècle était béni. Pourtant, ce passé avait aussi ses terreurs, ses violences, ses maladies : l’exécution de la mère d’Elisabeth, Anne Boleyn, les nombreuses épidémies de peste et de « suette anglaise » qui touchèrent notamment Londres sans parler des conflits et de la première Révolution qui coûta la vie à Charles 1er, le fils de Jacques 1er.
Grâce au consort Brouillamini, cette musique renaissance, en dépit des siècles, reste très accessible. J’ai cherché sur internet quelques pièces du disque jouées sur un virginal pour comparer. Les transcriptions pour flûte donnent une fluidité et une forme de modernité aux œuvres pour nous qui ne sommes plus habitués aux sons du virginal et on perçoit mieux les nuances, les variations de rythmes avec les flûtes.
Le consort Brouillamini porte bien son nom : il fait s’enchevêtrer les siècles, crée un agréable désordre temporel et musical. La période si étrange, si troublée que nous traversons donne envie de procéder à quelque voyage dans le temps pour oublier le présent. Et comme l’avenir paraît bien sombre ou tout du moins bien incertain et inquiétant, il me semble qu’un retour vers le passé est plus apaisant et enrichissant.
C’est bien aussi l’impression qui se dégage en regardant le teaser du disque. Un réveil sonne, un homme prend son petit-déjeuner, le quotidien banal de quelqu’un qui passera sans doute sa journée devant un écran dans un openspace. Puis la musique nous transporte dans une forêt où les cinq interprètes vêtus en noir jouent « La Volta ». On dirait qu’ils viennent d’un ailleurs et qu’ils sont apparus pour réenchanter cette année 2020 et nous faire rêver à une renaissance. Lourde tâche dont les Brouillamini s’acquittent fort bien.
Consort Brouillamini, The Woods so Wild, chez Paraty
https://www.consortbrouillamini.com
Pour écouter des extraits : https://smarturl.it/The_Woods_so_Wild