Exposition universelle de 1889 à Paris. Claude Debussy découvre des musiques venues d’ailleurs, de très loin pour l’époque, notamment le gamelan, un ensemble d’instruments à percussion, joué en Indonésie ainsi que des musiques traditionnelles d’Orient. Des formes de musique très simples, bien plus anciennes que nos musiques occidentales. Debussy restera marqué à jamais par ces musiques qui l’influenceront tout au long des vingt-neuf années qui lui restent à vivre. Une influence connue mais dont on peut avoir du mal à saisir les subtilités, habitués que nous sommes aux œuvres de Debussy et éloignés que nous sommes des origines de ces musiques.

in « Revue de l’Exposition Universelle de 1889 » – Bibliothèque Forney
L’un des mérites de Debussy in Resonance de Joanna Goodale est de nous offrir un retour à l’une des sources essentielles de la musique de Debussy. Non pas seulement ces formes de musique traditionnelles mais la nature même qui s’exprime par des sons simples et dont le gong, le bol tibétain sont proches par leur caractère primitif et ancestral. Résonnances ce sont les notes que la pianiste fait resonner avec délicatesse jusqu’à ce que le dernier son disparaisse. Elle parvient d’ailleurs à prolonger le son de son piano comme si la musique était encore là bien présente dans le silence même de l’après.
Résonnances ce sont aussi les échos entre les compositions de Debussy et ses propres compositions proposés dans ce deuxième disque après un premier disque reliant Bach et la musique soufie (Bach in a Circle). Par exemple, son Ocean origin débute par des bols tibétains et gongs avant de nous plonger littéralement dans une musique océanique où par moment résonnent des motifs de musique asiatique.
L’oeuvre de Joanna Goodale constitue une belle entrée en matière à La Cathédrale engloutie, qu’elle joue avec une grande intensité, rendant ce prélude encore plus mystérieux et grandiose dans chacun de ses accords. Still Snow prolonge La neige danse en proposant une musique abstraite et épurée comme peut l’être le dessin des flocons dans l’air.
La pianiste utilise aussi le piano, instrument complexe, issu d’une civilisation développée, comme un élément fait de bois, de cordes métalliques en faisant resonner, chanter ces matières comme pourrait le faire un jeune enfant qui découvre sans connaissance, sans a priori cet instrument. Elle nous révèle ainsi d’autres façons de l’aborder, moins savantes, plus spontanées.
Avant de l’écouter en disque, j’ai pu découvrir son deuxième album à l’occasion d’un concert.
Sans être dehors, nous étions dans une arrière-cour verdoyante, à l’abri des bruits de la ville. On sentait l’air du crépuscule, on entendait le jour qui fait place à la nuit et le chant des oiseaux nichés dans les arbres. Je m’imaginais qu’à leur façon, ils répondaient au piano, dialoguaient avec la musique qu’ils entendaient. J’ai repensé alors à ce passage d’un article de Debussy, signé sous le pseudonyme de Monsieur Croche, dans lequel il rêvait d’une musique écrite pour le plein air… à cent lieues des musiques de kiosques et de squares. « La collaboration mystérieuse des courbes de l’air, du mouvement des feuilles et du parfum des fleurs s’accomplirait, la musique pouvant réunir tous ces éléments dans une entente si parfaitement naturelle qu’elle semblerait participer de chacun d’eux… Et les bons arbres tranquilles ne manqueraient pas à figurer les tuyaux d’un orgue universel, ni à prêter l’appui de leurs branches à des grappes d’enfants auxquels on apprendrait les jolies rondes de jadis, si mal remplacées depuis par les ineptes refrains qui déshonorent les jardins et les villes d’aujourd’hui. » (Revue blanche 1901)
Si vous écoutez le disque de Joanna Goodale je ne pourrai donc que vous encourager à le faire dans un jardin, au bord de l’eau ou encore à l’orée d’une forêt. Le chant de la nature et celui du duo formé par Debussy et Joanna Goodale ne dépareront pas. J’ai beaucoup aimé Jardins sous la pluie où la virtuosité de l’interprète s’oublie pour créer un paysage impressionniste sonore saisissant. Les gouttes de pluie, les métamorphoses de la végétation sous l’effet de l’eau, du vent semblent se voir alors qu’on ne fait qu’entendre, comme si nous trouvions une capacité à voir autrement. Ce lien que Debussy justement établissait entre la musique et les images, qu’il aimait presque autant que son art.
Cette pianiste sensible, investie, choisit un répertoire qui entre en résonnance avec sa personnalité, ses préoccupations et en puisant dans les mélanges dont elle est constituée par ses origines anglo-turques. Le disque reflète aussi sa philosophie. Face aux menaces qui pèsent sur la nature, la Terre, elle avoue ainsi « ressen[tir] l’envie de cultiver ce sentiment de reliance charnelle à la Nature, qui inspire la gratitude, la joie et l’envie de prendre soin du vivant. » Pari réussi car l’écoute de ce disque est une source de bien-être qui s’offre simplement. Cette forme de simplicité qui rime avec pureté.
Debussy in Resonance, Claude Debussy et Joanna Goodale, Paraty
Des extraits ici https://www.youtube.com/watch?v=3YLLSB71h5M