J’ai (re)vu récemment deux films, La Marquis d’O, d’Eric Rohmer et Amour fou de Jessica Hausner. Les intrigues se passent à l’époque de Beethoven. La première en 1798-1802, lors de la guerre de la deuxième collation, durant laquelle plusieurs puissances européennes s’opposèrent à la France révolutionnaire et la seconde, en 1811, dans les dernières semaines de la vie de l’écrivain Heinrich von Kleist, l’auteur de la nouvelle « La Marquise d’O ». Les deux films offrent de magnifiques scènes d’époque dans les intérieurs de milieux aisés avec des personnages encore soumis à une forme de rigidité classique tout en exprimant une ardeur romantique, certes contenue mais tout de même bien palpable. La musique de Beethoven aurait pu accompagner ces films, notamment ses Sonates pour piano et violoncelle que viennent d’enregistrer Jean-Claude Vanden Eynden et Michel Strauss.
A l’écoute des disques, on a aussi l’impression de voir des tableaux d’époque, où se mêlent mélancolie et exaltation avec ce duo musical, comme dans les deux films – un comte et une marquise, Kleist et Henriette Vogel. On plonge ainsi dans cette âme allemande romantique. C’est la souffrance existentielle dont Kleist a été l’une des plus parfaites illustrations mais qui fut aussi celle très profondément éprouvée par Beethoven. Kleist et Beethoven se sont sentis seuls dans le monde des hommes pour lesquels ils avaient pourtant créé
Dans les Sonates pour piano et violoncelle, les hymnes à la vie voisinent toujours avec des passages sombres ou déchirants. C’est le chant tendre et délicat du piano de Jean-Claude Vanden Eynden comme dans l’allegro du premier mouvement de la deuxième sonate opus 5. Ce sont les graves si intenses et évocateurs de Michel Strauss comme dans le deuxième mouvement de la première sonate opus 102.
Jean-Claude Vanden Eynden et Michel Strauss se connaissent très bien. Leur duo ici est presque une affaire de famille. Jean-Claude Vanden Eynden est ainsi l’un des musiciens fidèles du festival de musique de chambre fondé, il y a plus de vingt ans, par Michel Strauss en Normandie.
Les trois disques qui composent le coffret présentent l’intégrale de l’œuvre pour piano et violoncelle de Beethoven : des variations sur Mozart et Haendel et cinq sonates. Il s’agit de vrais duos dans le sens où aucun des deux instruments ne tient la vedette ou ne fait qu’accompagner l’autre. Les disques s’ouvrent et se ferment sur des variations sur deux airs de La Flûte enchantée, notamment un duo Papageno et Pamina, avec une variation 5 qui a des airs de jeu de cache-cache, entre les variations 4 et 6 très lyriques et presque sombres, offrant une palette d’impressions déjà beethovéniennes. Ces variations, de même celles sur l’oratorio Judas Macchabée de Haendel sont en effet des œuvres de jeunesse. Hommage brillant à deux aînés, hommage formateur pour le compositeur allemand et qu’on découvre ou redécouvre avec plaisir.
Les Sonates, quant à elles, illustrent différentes périodes de la vie du compositeur. Les deux sonates de jeunesse, opus 5, reflètent pourtant déjà la personnalité tourmentée de Beethoven même si l’influence de Mozart se fait encore sentir notamment la première sonate où Jean-Claude Vanden Eynden met en valeur la virtuosité gracieuse de sa partition. Un lyrisme empreint de gravité traverse ainsi le premier mouvement de la seconde sonate de jeunesse.
La troisième sonate, opus 69, composée environ dix ans plus tard, a des passages quasi symphoniques tant Beethoven parvient à tirer parti de toutes les possibilités des instruments, séparément et ensemble. Il en résulte une partition très riche, faite de mille nuances dont les deux musiciens s’emparent avec naturel. C’est aussi sans doute dans le premier mouvement que le duo au sens de dialogue entre violoncelle et piano est le plus sensible prenant l’allure d’une discussion entre les deux instruments que les interprètes rendent à merveille, ardente dans l’allegro du premier mouvement, lyrique dans l’adagio du dernier mouvement.
Les deux dernières sonates, opus 102, datent de 1815. En proie à des problèmes financiers, de plus en plus isolé par sa surdité, Beethoven est aussi à l’apogée de son art par la technicité mais aussi l’intensité expressive. Michel Strauss et Jean-Claude Vanden Eynden offrent des instants d’une émotion rare. Par exemple dans l’adagio de l’ultime sonate qui débute par une sorte de magnifique lamento au violoncelle que vient accompagner ensuite avec douceur le piano. Le dialogue émouvant se poursuit tout le long et reste en suspens pour enchaîner sur le dernier mouvement allegro fugato sous la forme d’une fugue complexe comme les aimait Beethoven. On sent derrière le son qui émane de leur instrument la profonde complicité de Michel Strauss et de Jean-Claude Vanden Eynden. Celle-ci exprime le rêve d’un Beethoven isolé et pourtant porté par le désir d’offrir sa musique aux hommes, pour qu’ils l’écoutent mais aussi pour qu’ils la jouent ensemble.
Beethoven, œuvre intégrale pour violoncelle et piano, Michel Strauss et Jean-Claude Vanden Eynden, Et’cetera
Le festival Musique de chambre en Normandie aura lieu du 22 au 31 août 2024 à Vernon, Giverny et Notre Dame de l’Isle https://festival-mdcen.fr
A cette occasion, Michel Strauss et Jean-Claude Vanden Eynden donneront un récital Beethoven le 27 août à 20h à l’Espace Philippe Auguste de Vernon (lieu à confirmer).
Michel Strauss et Jean-Claude Vanden Eynden joueront aussi l’intégralité du programme des trois disques dans le cadre des concerts à Midi à l’université de Liège les 7 novembre, 5 décembre 2024 et 9 janvier 2025