Musique sacrée d’hier et d’aujourd’hui

cover terra desolata rectoJ’ai déjà parlé de Thierry Escaich dans un précédent billet. La composition que j’évoquais alors, Un nocturne, se plaçait à la suite d’œuvres de deux autres grands organistes comme lui, Charles Widor et Louis Vierne.

Le premier disque enregistré par l’ensemble Zoroastre, dirigé par Savitri de Rochefort, propose aussi une œuvre de Thierry Escaich qui tient lui-même la partition de l’orgue. Avec Terra Desolata, Thierry Escaich se situe également dans une longue tradition, la musique sacrée dont il reprend les harmonies, le style, mais en y apportant sa modernité particulière, fruits de diverses autres influences. L’œuvre composée en 2002 a été d’ailleurs créée par le Concert spirituel, un orchestre baroque qui approchait ainsi un répertoire qui n’était pas le sien sans lui être totalement étranger.

Outre cette œuvre de Thierry Escaich, l’ensemble Zoroastre interprète deux œuvres de Johann Adolf Hasse et Georg Friedrich Haendel. Créé en 2012, cet ensemble tire son nom d’un prophète perse et s’attache à explorer le répertoire de musique sacrée classique et contemporaine. Outre ce choix dans les œuvres, l’ensemble est constitué de musiciens professionnels expérimentés et de jeunes diplômés, créant ainsi un mélange de sensibilité et d’expériences assez uniques, le tout dirigé par une femme, Savitri de Rochefort, autre particularité, les femmes étant (trop) minoritaires à la baguette.

Savitri de Rochefort et Thierry Escaich 11022018 © Simone Strähle Music 'N Com

Savitri de Rochefort et Thierry Escaich 11-02-2018 © Simone Strähle Music ‘N Com

Savitri de Rochefort a cependant débuté assez tardivement dans la direction. Elle a commencé enfant par le violon et s’est vite passionnée pour le solfège, le chant et la composition, suivant des études à Paris puis aux Etats-Unis avant de se former à la direction de chœur. Son ensemble est à son image : plein d’enthousiasme pour faire découvrir la musique classique avec des répertoires parfois méconnus et porté par un désir de transmettre à travers la musique une forme de spiritualité dont le monde aujourd’hui semble parfois si cruellement dépouillé.

Les présentations faites, revenons à ce premier disque.

Terra Desolata est composé sur le chapitre 12 du livre de Jérémie et exprime la colère de Dieu dont la maison est devenue une région désolée, en proie aux destructeurs.… Si le propos est tragique, Thierry Escaich mêle dans les dix minutes que dure son œuvre des moments très sombres et inquiétants avec d’autres plus clairs parce que soutenu malgré tout par la grâce de la voix humaine accompagnée parfois dans une sorte de long lamento par le théorbe. Quelques passages m’ont fait penser à l’une des plus célèbres musiques de film de Bernard Herrmann, Psychose d’Hitchcock avec lequel Herrmann a beaucoup travaillé tout comme avec Orson Welles. Le rapprochement pourrait étonner tant on semble loin ici d’Hollywood mais Herrmann, dont la famille était originaire de Russie, a aussi baigné dans une atmosphère spirituelle et a appris la composition en étudiant et en puisant chez des musiciens passés tels que Debussy. Cette Terra Desolata sans perdre ce qui fait son unité de ton raconte véritablement une histoire en nous transportant d’une impression à une autre, d’une inspiration à une autre.

Johann Adolf Hasse

Johann Adolf Hasse

Le disque se poursuit avec deux œuvres classiques mais peu jouées : le Miserere en ré mineur de Johann Adolf Hasse et le Dixit Dominus de Haendel. Il peut paraître surprenant d’avoir débuté par la composition contemporaine. Mais le but n’est pas ici de souligner des évolutions esthétiques mais une progression spirituelle, de la désolation et la colère à la lumière et la joie en passant par la pénitence. L’œuvre de Hasse est ainsi inspirée par le repentir et celle de Haendel est une annonce de la venue du Messie.

L’œuvre de Hasse, compositeur allemand dont la carrière se déroule pendant une bonne partie du XVIIIe siècle (il meurt en 1783 à 84 ans) n’a rien à envier aux pièces sacrées des musiciens restés plus célèbres et offre une partition pleine d’intensité et de nuances à un chœur de quatre voix de femmes. Le « Tibi soli peccavi » avec la soprane Nathalie Gauthier est pour moi l’un des passages les plus émouvants de l’œuvre tant on sent la force du poids du péché mais aussi la possibilité d’obtenir la rédemption par la foi sincère.

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Haendel vers l’époque de son séjour en Italie

La dernière œuvre, le Dixit Dominus, composée en 1707 par un Haendel de 22 ans qui séjourne depuis quelques mois à Rome, est la plus lumineuse mais aussi la plus technique. Sans même voir les interprètes, on sent en écoutant le disque l’énergie qu’ils déploient pour servir la grandeur du Seigneur et de la partition. J’ai particulièrement été touchée par le duo Joanna Malewski et Catherine Padaut (« De torrente in via bibet ») accompagné avec une solennité délicate par les cordes et le chœur. Haendel passera par bien des épreuves et des expériences avant, trente-quatre ans plus tard, de composer son fameux Messie. Mais la maturité a permis à Haendel non d’évoluer mais d’approfondir la musique qu’il portait en lui dès ses débuts et dont le Dixit Dominus est l’un des plus flamboyants exemples. Bien des passages annoncent déjà le Messie ! notamment dans la première partie, « Dixit Dominus » et la huitième et dernière partie (« Gloria Patri »).

 

Pour lancer ce disque, l’ensemble Zoroastre et Thierry Escaich donneront un concert le 12 avril prochain dans la cathédrale américaine de Paris, soirée en hommage aux victimes de la Grande Guerre avec au programme Terra Desolata et le Requiem de Mozart.

 

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Ensemble Zoroastre direction Savitri de Rochefort. Concert à Saint-Etienne du Mont ©David Blondin

Dans une interview Savitri de Rochefort avoue avoir été bercée par ce Requiem enfant puis l’a chanté comme soprano colorature à l’orchestre de Paris lors du bicentenaire de la mort de Mozart. Elle le retrouve une nouvelle fois mais en étant cette fois au cœur même de l’œuvre puisqu’elle va la diriger. On imagine sans peine l’émotion qu’elle va ressentir en abordant cette autre œuvre sacrée. Mais ce que j’ai entendu de son ensemble me laisse penser que le trac n’aura pas l’avantage ni sur elle ni sur les autres interprètes et que l’émotion restera bien présente et maîtrisée.

 

Terra Desolata par l’Ensemble Zoroastre dirigé par Savitri de Rochefort et avec Thierry Escaich, composition et orgue, chez Klarthe (http://www.klarthe.com/index.php/fr/).

Présentation du CD sur https://www.youtube.com/watch?v=0qcXRBViXHc&feature=youtu.be

Pour le concert du 12 avril à la Cathédrale Américaine http://ensemble-zoroastre.fr/reservation/

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